«Le risque d’attentat s’est accentué depuis janvier»
Dans une interview accordée à 24 heures, le directeur du Service de renseignement de la Confédération Christian Dussey demande plus de personnel pour faire face aux menaces grandissantes.
Interview 24 heures, Delphine Gasche
Vous avez récemment attrapé un espion russe qui préparait un attentat au Bürgenstock. A-t-on évité le pire?
Je ne peux pas m’exprimer sur cette affaire. Plusieurs procédures pénales sont en cours auprès du Ministère public de la Confédération. Par contre, je peux vous confirmer que l’espionnage représente une menace élevée pour la Suisse. Cette menace n’a pas débuté avec la conférence pour la paix en Ukraine sur le Bürgenstock. Elle a toujours existé. Par le passé, on a déjà mis en garde contre l’espionnage russe et chinois. Avec une guerre en Europe, tous les services de renseignement sont toutefois devenus plus agressifs.
La Suisse est-elle devenue un nid d’espions?
Le conflit en Ukraine s’est développé en une guerre hybride qui mêle espionnage, cyberattaque, désinformation, opérations de sabotage ou encore transfert illégal d’armes. Les États peuvent aussi acquérir des technologies, des pièces détachées ou des composants utiles pour leur effort de guerre. Et la Suisse est directement et indirectement touchée, car cette guerre hybride se déroule en partie sur son territoire. Tous les jours, nous menons des opérations contre ce type d’événements. Il faut éviter de servir de plateforme où les services de renseignement étrangers mènent des opérations contre nos intérêts. Comme ce fut le cas lors de la Seconde Guerre mondiale.
Comment comptez-vous faire ça?
En faisant notre travail. On identifie les agents. On prévient leurs actions et on les entrave.
Vous avez des exemples?
On ne divulgue pas nos méthodes exactes, ni nos priorités ou le nombre de personnes engagées.
Il y a la guerre en Ukraine, mais aussi la menace djihadiste. Trois concerts de Taylor Swift ont été annulés à Vienne. Quel est le risque d’un attentat en Suisse?
La menace terroriste est élevée depuis plusieurs années en Suisse. Mais elle s’est accentuée depuis janvier suite au lancement d’une campagne de propagande de l’État islamique appelant à commettre des attentats en Europe. Il n’en avait plus fait depuis longtemps. Ça a vraiment donné un nouvel élan au mouvement, démultiplié par les réseaux sociaux. En Europe, il y a eu depuis le début de l’année une trentaine d’arrestations. C’est plus que pour toute l’année passée. Et la Suisse est particulièrement touchée.
Combien d’arrestations y a-t-il eues chez nous?
On ne communique pas les chiffres exacts, en raison de procédures en cours. Mais nous sommes dans la moyenne supérieure au niveau européen. Et de plus en plus de jeunes radicalisés sont des mineurs, souvent très jeunes. Ils se radicalisent très rapidement sur internet, parfois tout seuls.
Après plus de deux ans de guerre hybride et l’accentuation de la menace terroriste, nous devons constater que la transformation ne permettra pas de compenser le sous-effectif important du SRC.
Comment expliquez-vous cette radicalisation des plus jeunes?
Pour certains, c’est un moyen de se mettre en avant sur les réseaux sociaux et d’augmenter leurs likes et leurs nombres de followers. Ils se mettent en scène et disent: «Regardez ce que j’ai fait. Regardez comme je suis fort.» D’autres souffrent d’un déséquilibre psychologique. En Suisse, le risque d’attentat le plus probable est celui d’un acte de violence perpétré par un individu isolé inspiré par le djihadisme. On l’a vu avec l’attaque au couteau enregistrée début mars à Zurich.
Comment luttez-vous contre ces loups solitaires?
Le SRC procède à un monitoring du djihad sur internet, en collaboration étroite avec les services de renseignement étrangers. Depuis le 11 septembre (ndlr: deux avions détournés par des terroristes ont percuté les tours du World Trade Center), cette collaboration internationale fonctionne exceptionnellement bien. Si un État a vent d’un projet d’attentat en Suisse, il nous avertit et nous aide à faire face. Et inversement. Chaque année, nous échangeons près de 20’000 informations avec nos partenaires étrangers. Cette collaboration internationale est tout simplement indispensable. Surtout pour la Suisse, dont la taille du Service de renseignement est plus petite que celle de la police de la ville de Lausanne. Mais même les plus grands ne peuvent s’en dispenser.
Vous n’avez pas assez de personnel?
Le SRC a commencé une transformation nécessaire avant la guerre en Ukraine. Mais celle-ci a vraiment été un choc tectonique pour la sécurité en Europe. Elle a mis à mal un effectif en matière de ressources humaines trop faible et des structures défaillantes. Après plus de deux ans de guerre hybride et l’accentuation de la menace terroriste, nous devons constater que la transformation ne permettra pas de compenser le sous-effectif important du SRC.
Parlons chiffres. De combien d’employés supplémentaires avez-vous besoin?
Je ne souhaite pas articuler de chiffre précis, car nous sommes actuellement en discussion avec le Département fédéral de la défense.
Pouvez-vous malgré tout assurer la sécurité de la Suisse?
Oui. Là, il est surtout question de fatigue du personnel et de sa capacité de résilience.
Vous voulez plus de personnel, mais votre service est celui qui a le plus grandi au fil des années…
Ce n’est pas moi qui le veux. Ce sont les événements internationaux qui le dictent. Je préférerais mille fois avoir un service beaucoup plus petit, et une situation géopolitique et sécuritaire beaucoup plus calme.
La Suisse compte environ 70 espions russes sur son sol. En en expulsant quelques-uns, vous auriez moins de travail…
Le SRC ne fait pas de politique et n’est pas responsable de l’expulsion des espions. Nous menons simplement nos opérations de la manière la plus neutre et efficace possible.
L’extrémisme violent de droite comme de gauche monte également partout. Quelle est la plus grande menace: une attaque de djihadistes ou d’extrémistes politiques?
Nous ne faisons pas de probabilités. Mais nous avons vu que les projets d’attentats terroristes se multiplient. En comparaison avec l’évolution de la menace djihadiste, l’extrémisme violent est plutôt stable.
Une révision de la loi est en cours. Elle vous permettrait de mieux surveiller les extrémistes politiques. Se dirige-t-on vers un nouveau scandale des fiches?
En aucun cas. On a souvent l’impression que les services de renseignement espionnent tout le monde. Mais c’est faux. Les procédures auxquelles est soumis le SRC sont très strictes. Chaque mesure doit être approuvée par plusieurs autorités. Et notre travail est contrôlé et surveillé. Il y a un inspecteur externe pour 30 collaborateurs. C’est beaucoup. Notre cadre juridique ne nous permet plus de faire comme par le passé. J’ai vécu en Iran et en Russie, où les droits humains sont massivement restreints. Nous ne faisons pas ça en Suisse. Et puis, excusez-moi d’être aussi franc, ce que font les citoyens lambda ne nous intéresse pas.

