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«La position suisse n’est pas comprise»

L'interdiction de la réexportation d'armes est difficilement acceptable par les partenaires européens de la Confédération. A la Conférence de Munich sur la sécurité, la ministre de la Défense Viola Amherd a dû s'expliquer auprès de tous ses interlocuteurs.

20.02.2023 | Le Temps

Conseillère fédérale Viola Amherd, Cheffe du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports DDPS Photo: VBS/DDPS, André Scheidegger

 

Interview: Frédéric Koller

Quand on demande à Dmytro Kuleba quelle est la priorité pour Kiev aujourd’hui, le ministre ukrainien des Affaires étrangères répond: «Des munitions.» Son homologue allemande, Annalena Baerbock, ajoute alors: «Quelques pays ont des munitions pour les Gepard. Je vous demande une nouvelle fois votre aide. Combien de pays n’ontils pas encore compris qu’à défaut d’une aide à l’Ukraine, on fait le jeu de la Russie qui veut détruire l’ordre mondial? La neutralité n’est plus une option. Etre neutre, c’est prendre le parti de l’agresseur.» La ministre issue des rangs des Verts conclut: «Si l’on veut prendre le parti de la paix, de l’ordre international, il faut livrer les munitions à l’Ukraine.» Sans nommer la Suisse (le Brésil est également visé), un membre du gouvernement allemand fustige une nouvelle fois le refus de Berne d’autoriser la réexportation de munitions produites en Suisse pour les canons antiaériens Gepard que l’Allemagne fournit à l’Ukraine.

La neutralité suisse a été souvent questionnée lors de la Conférence de Munich sur la sécurité qui s’est achevée dimanche. Viola Amherd, qui a fait le déplacement, répond à ces critiques. Votre homologue allemand, Boris Pistorius, vous a-t-il répété que l'Allemagne ne comprend pas la Suisse sur la question des réexportations des munitions?

L’Allemagne a fait valoir son point de vue à plusieurs reprises. Il ne m’a pas approchée à ce sujet. On connaît la position de l’Allemagne.

Vous n'avez rien à ajouter quand le vice-chancelier Robert Habeck déclare ne pas comprendre la Suisse? C'est quand même le principal partenaire de la Confédération?

Il faut considérer la position allemande telle qu’elle est. J’ai eu des entretiens sur ce thème avec des collègues de différents pays européens. J’ai pu expliquer que la Suisse ne peut pas exporter des armes vers un pays en guerre. Ils l’ont bien compris. Pour l’interdiction en matière de réexportation, c’est plus difficile. Là, on ne comprend pas la position de la Suisse.

Cela veut dire que d'autres ministres européens vous ont interpellée sur cette question précise?

Oui.

Et aucun pays européen ne comprend la position suisse?

Je n’ai pas parlé avec tous les représentants de pays européens. Mais ceux avec qui je l’ai fait ne le comprennent pas.

J’ai rappelé que nous avons d’autres moyens de soutenir l’Ukraine, notamment avec l’aide humanitaire ou le déminage.

Craignez-vous un isolement de la Suisse au sein d'une Europe qui renforce son unité?

La Suisse doit éviter un isolement. Le parlement discute en ce moment d’un changement de la loi sur le matériel de guerre. Il y aura peut-être une modification. C’est ce que j’ai expliqué aux partenaires européens. C’est aussi un sujet de discussion en Suisse, parmi les politiciens et la population. J’ai aussi rappelé à mes collègues européens que nous avons d’autres moyens de soutenir l’Ukraine, notamment avec l’aide humanitaire ou le déminage. Nous avons aussi repris toutes les sanctions de l’UE contre la Russie. Cela est très apprécié.

Vous avez assuré que La Suisse continuera de le faire à l'avenir?

Le Conseil fédéral décide au cas par cas. Je ne peux donc pas vous dire ce qui se passera la prochaine fois. Pour moi, nous devrions rester sur le principe d’une reprise des sanctions, comme déjà décidé par le Conseil fédéral.

Comment la Suisse peut-elle renforcer sa participation à la sécurité collective européenne?

Le plus important est que la Suisse fasse ses devoirs à l’interne. Cela signifie investir plus de moyens dans l’armée. Nous avons des lacunes en raison des économies faites par le passé. Le rapport sur la politique de sécurité 2021 du Conseil fédéral indiquait déjà l’intention d’accroître la collaboration internationale en matière de sécurité. Il faut à présent la concrétiser. Nous examinons différentes pistes avec l’OTAN et l’Union européenne.

Dans ce rapport, ilest indiqué sous l'article 5 que la Suisse envisage des exercices de défense collective de l'OTAN. Y en aura-t-il cette année?

Nous sommes en train d’en discuter avec les partenaires de l’OTAN et de l’UE. Il est clair que l’on doit respecter le droit de la neutralité. Mais il est possible d’élargir le spectre des exercices. Cela devra se faire à long terme. Je vais m’entretenir de ce sujet avec le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg en mars. Nous discuterons aussi d’autres possibilités de coopération, avec l’intention d’aller de l’avant.

Dans ce même rapport, il est écrit que certains Etats européens sont réticents à ce que la Suisse puisse participer à de tels exercices.

J’ai abordé les possibilités de coopération l’an dernier et en janvier à Davos avec Jens Stoltenberg. L’OTAN est ouverte à cette possibilité, et aussi à d’autres. L’OTAN ne nous demande rien, c’est à la Suisse de décider ce qu’elle peut et veut faire.

Mais certains Etats européens ne vont-ils pas bloquer cette participation?

C’est bien sûr possible. L’OTAN décide toujours à l’unanimité. La Suède et la Finlande, qui veulent devenir membres de l’OTAN, rencontrent, par exemple, une opposition au sein de cette organisation. Ce n’est donc pas à exclure. Mais pour nous, il s’agit d’explorer les possibilités de coopération.

Que disent vos homologues finlandais et suédois à propos de la neutralité qu'ils ont abandonnée? A-t-elle perdu sa raison d'étre?

Nous pouvons profiter de leurs expériences passées avec l’OTAN, alors qu’ils n’aspiraient pas encore à devenir membres. Mais leur situation est, de toute manière, différente de celle de la Suisse de par leur position géographique.

La Suisse n'a pas de problème de géographie.

Sur ce plan, nous avons de la chance.

L'Autriche est le dernier pays neutre avec la Suisse. Est-ce que cela renforce les liens?

Nous avons toujours eu de bons contacts bilatéraux. Chaque année, nous avons au minimum une rencontre des ministres de la Défense de la Suisse, de l'Autrichie et de l’Allemagne.

Vienne n'a pas de problème de réexportation d'armes?

Je ne connais pas exactement la loi en Autriche. Mais il y a aussi beaucoup de discussions sur la neutralité dans ce pays. Un peu dans les mêmes termes qu’en Suisse.

Avant l’expulsion d’un diplomate, il y a plusieurs possibilités d’agir, à différents échelons.

L'Autriche a récemment expulsé quatre diplomates russes. La Suisse a-t-elle aussi procédé à de telles expulsions depuis le 24 février dernier?

Je ne peux pas vous le dire. Le Département des affaires étrangères a différentes options, en cas de nécessité. Avant l’expulsion, il y a plusieurs possibilités d’agir, à différents échelons. Pour des raisons de sécurité, nous ne communiquons pas sur ce sujet.

Selon un rapport du Service de renseignement de la Confédération, un tiers des diplomates russes font en réalité de l'espionnage. Est-ce toujours le cas?

Nous n’avons, en tout cas, pas vu, depuis le début de la guerre, de réduction du nombre de personnes installées en Suisse qui seraient potentiellement engagées dans des activités d’espionnage.

Il y a donc le même nombre de diplomates russes depuis un an?

Plus ou moins. Je ne peux pas vous communiquer les chiffres exacts.

Ce qui signifie qu'il n'y a pas eu d'expulsion.

Une personne peut être expulsée puis remplacée.

La Suisse n'interdit pas les médias russes qui relayent la propagande du Kremlin, lia beaucoup été question de guerre de l'information à Munich. Là aussi la Confédération fait cavalier seul. Avez-vous été interpellée pour ne pas jouer la solidarité européenne sur cette question?

Non. Ce n’était pas un sujet. Dans ce type de conflit hybride, les campagnes de désinformation sont bien sûr importantes. La présidente de la Moldavie en a, d’ailleurs, témoigné, samedi matin. La dimension des activités est impressionnante. Mais la population suisse a un esprit critique envers l’Etat comme envers les médias. Elle est habituée à discuter de thèmes compliqués. C’est certainement aussi dû à notre système de démocratie directe. Peut-être sommes-nous, là, un peu plus résilients que d’autres pays.

Lors de votre première venue à Munich, en 2019 vous aviez été frappée par la remise en question du lien transatlantique. C'était sous l'èreTrump. Que retenez-vous de cette édition?

Je retiens la très forte volonté des pays de l’ensemble transatlantique à défendre les valeurs démocratiques, le droit international et les droits humains. On observe une solidarité, la volonté de travailler ensemble en faveur de la démocratie et de la liberté.

Et la Suisse s'inscrit dans ce lien transatlantique?

Bien sûr. La Suisse est traditionnellement très impliquée dans cette lutte pour les valeurs comme le droit international.

On assiste à un réarmement spectaculaire des Etats européens. Ne faut-il pas craindre, à l'avenir, une course aux armements?

Nous avons longtemps vécu sur les dividendes de la paix. On voit aujourd’hui nos lacunes. L’heure est au rattrapage.

Attendez-vous toujours la première livraison de F-35 en 2027?

Oui. J’ai rencontré, ici à Munich, les responsables de Lockheed Martin. Je leur ai demandé comment ils allaient faire face à l’augmentation des commandes de nombreux pays, comme l’Allemagne, le Canada ou la Finlande.

La Suisse, non membre de l'OTAN, ne va-t-elle pas être reléguée en queue de peloton?

Non. Nous gardons notre place. Lockheed Martin affirme ne pas avoir de problèmes pour assurer la chaîne d’approvisionnement. L’entreprise a des problèmes avec d’autres systèmes d’armes. Mais pour les F-35, les délais seront respectés.


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