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«Poutine a besoin d’une victoire avant le 9 mai, la date de sa parade militaire»

Le Chef de l’armée, Thomas Süssli, s’exprime sur l’évolution du conflit en Ukraine, son influence sur l’armée et la coopération de la Suisse avec l’OTAN.

17.04.2022 | Le Matin Dimanche

Le chef de l'armée, commandant de corps Thomas Süssli.

 

Interview: Florent Quiquerez

Lorsque vous êtes devenu chef de l’armée en 2019, aviez-vous anticipé une guerre en Europe?
Je me suis posé beaucoup de questions sur ce qui pourrait arriver quand j’ai pris mes fonctions. Pour moi, le plus probable était un black-out. Depuis, nous avons eu une pandémie et une guerre sur le continent. Cela prouve que nous devons toujours penser à l’impensable et être prêts pour tous les scénarios.

L’armée suisse est-elle aujourd’hui en état d’alerte?
Dès le premier jour du conflit, nous avons procédé à une appréhension du problème. Trois domaines ont été identifiés. Il s’agissait d’abord d’anticiper l’évolution du conflit. Ensuite d’augmenter notre niveau de disponibilité pour intervenir, notamment dans le cadre de la police du ciel et en matière de cyberdéfense. Enfin, il fallait organiser l’aide humanitaire. Trois jours après le début de l’invasion, nous avions déjà préparé 20 tonnes de matériel qui ont depuis été distribuées.

Comment êtes-vous informé de ce qui se passe sur le terrain?
De différentes façons et à différents niveaux. Nous recevons tous les jours des informations du Service de renseignement de la Confédération et du Service de renseignement militaire. Je consulte aussi ce qui se dit dans les médias, et je suis certains journalistes qui sont sur le terrain, sur Twitter et Telegram.

Hormis les Américains, personne n’avait jugé réaliste l’invasion de l’Ukraine. La Suisse est-elle aveugle?
Pas du tout. Les services de renseignement militaire ont fait une bonne analyse des troupes russes qui stationnaient en Biélorussie. Ils ont vu des militaires parés pour un exercice et non pour une offensive, car il n’y avait pas le soutien logistique, sanitaire et de combat. Pour nos services, il était donc invraisemblable qu’une offensive ait lieu en direction de Kiev, car les ressources n’étaient pas suffisantes. Finalement, les forces armées sont entrées en action, mais elles se sont trouvées confrontées aux problèmes que nous avions anticipés. Nous avions donc tort et raison.

Du point de vue militaire, cette stratégie était donc une erreur?
Oui, et le déroulement de l’opération l’a montré. Les Russes ont fait beaucoup de choses autrement que ce que nous avions pensé en raison de leur doctrine.

Comment percevez-vous la suite de ce conflit?
Ça revient à regarder dans une boule de cristal. Mais je vais vous donner mes impressions. Au départ, la stratégie militaire des Russes était de renverser le régime de Kiev et d’anéantir l’armée ukrainienne en s’engageant sur quatre fronts. Ce plan a échoué. Aujourd’hui, ils concentrent leurs forces dans l’Est, et il faudra s’attendre à une offensive majeure ces prochains jours. Le président Poutine a prévu une grande parade militaire pour le 9 mai (ndlr: jour de la victoire de la Russie sur l’Allemagne nazie). Politiquement, il a besoin d’une victoire d’ici-là.

La chute de Marioupol peut-elle constituer cette victoire?
Nous ne pouvons pas, ni ne voulons, spéculer sur les intentions du président Poutine.

Cette guerre a donné un nouvel élan à l’OTAN. Pensez-vous que la Suisse puisse un jour y adhérer?
La neutralité et la liberté sont deux valeurs fondamentales de la Suisse. Actuelle-ment, on parle beaucoup de collaborations supplémentaires avec l’OTAN ou avec l’Union européenne. Mais je crois que la question de l’adhésion ne se pose pas.

Nous devons toujours penser à l’impensable et être prêts pour tous les scénarios.

Est-ce encore une question de principe ou simplement de calendrier?
Ce n’est pas ainsi que je perçois les choses. En Suisse, le rapport à la nation est encore fortement lié à ces deux valeurs de liberté et neutralité. Une adhésion n’est pour le moment pas à l’ordre du jour. C’est le débat politique qui décidera de la forme que prendra la coopération à l’avenir.

La Suède et la Finlande, pays neutres, envisagent une adhésion…
Ils ne sont pas dans la même situation que nous. Déjà, ils ont des frontières communes avec la Russie, et ressentent la menace différemment. L’autre différence, c’est notre rapport au droit de la neutralité. Notre politique le perçoit beaucoup plus comme une notion d’indépendance. D’ailleurs, contrairement à la Suède ou la Finlande, nous ne sommes pas membres de l’UE.

En cas de conflit, il faudra toutefois choisir nos alliés. Cela nous pousse vers l’OTAN.
Nous sommes déjà dans le partenariat pour la paix avec l’OTAN. Cela nous permet d’échanger, de faire des accords avec des pays européens pour la formation militaire. Maintenant, si nous entrons dans un conflit, la neutralité tombe. La Suisse pourra alors collaborer avec des pays voisins. C’est pourquoi il est important que nos systèmes militaires soient compatibles et que nous fassions des exercices communs.

La droite veut augmenter le budget de l’armée. Vous feriez quoi avec deux milliards de plus?
Beaucoup de matériel arrive en bout de course, notamment les F/A-18, qui seront inutilisables à l’horizon 2030. Aujourd’hui, nous avons différents concepts pour améliorer la défense aérienne, moderniser les forces terrestres et développer la cyberdéfense. Avec plus d’argent, nous pourrions atteindre ces buts beaucoup plus rapidement. Ce qui permettrait d’améliorer plus vite la protection de la population.

Au niveau cyber, peut-on résister aux hackers russes?
D’abord, il faut dire que dans ce domaine, la situation est tranquille pour le moment. Nous avons toutefois la possibilité de nous défendre.

Cette guerre est-elle une raison d’acheter de nouveaux avions?
Ce qui est important, c’est d’écouter ceux qui sont directement concernés par ce conflit. Cinquante jours après le début de la guerre, la flotte ukrainienne vole encore. Et leurs responsables militaires appellent à avoir plus de moyens, que ce soit des avions ou de la défense sol-air. C’est précisément ce que nous disons: si on veut protéger convenablement la population dans le futur, il faut combiner une flotte aérienne avec de bons systèmes au sol.

Avec ses 36 F-35, la Suisse pourrait défendre son espace aérien pendant un mois en cas d’attaque. Comment arrivezvous à ce calcul?
Ça fait partie des trois options que nous avions présentées au Conseil fédéral avant la procédure d’acquisition du nouvel avion. En cas de tension, il faudrait avoir quatre avions de combat simultanément en vol pour contrôler le territoire. L’option retenue table sur un nombre de 40 avions, qui permettent de tenir cette mission durant un mois.

Dans quel scénario la Suisse pourrait-elle utiliser des avions, sachant qu’on est entouré de pays amis?
Vous parlez de la situation aujourd’hui. Les avions que nous projetons d’acheter doivent tenir jusqu’en 2060. On ne sait pas ce qui peut se passer durant cette période. Qui aurait cru qu’une pandémie surgirait ou qu’il y aurait une guerre en Ukraine? La mission de l’armée est la défense de la population et la protection de notre espace aérien. Et quand un conflit éclate en Europe, il faut pouvoir défendre notre souveraineté et protéger notre pays et la population de manière crédible.


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