«L’armée n’est pas en état d’alerte, mais se tient prête»
Alors que le risque d’une guerre entre l’Ukraine et la Russie est sur toutes les lèvres, le parlement s’empare du dossier explosif des jets de combat.
23.02.2022 | Tribune de Genève
Interview: Florent Quiquerez
La menace d’un conflit aux portes de l’Europe, c’est ce qu’on redoute le plus quand on est cheffe de l’armée?
La situation s’est à nouveau aggravée. Il y a un risque réel d’une nouvelle escalade militaire, même d’un conflit armé en Europe. La fenêtre pour une issue diplomatique afin de sortir de cette crise se ferme toujours plus. Cependant, il faut tout faire pour la trouver et ainsi éviter un conflit armé.
Qu’est-ce que ça signifie pour l’armée suisse? Est-elle en état d’alerte?
Ce qui se passe en Ukraine montre que ce qu’on a écrit dans notre rapport sur la politique de sécurité est conforme à la réalité. La situation est plus instable qu’il y a quelques années encore. Il existe de fortes tensions entre les pays occidentaux et la Russie. Pour le moment, notre armée n’est pas en état d’alerte. Mais elle se tient prête à faire front pour protéger la population.
Avez-vous des contacts avec vos homologues européens?
Le DDPS et le DFAE se coordonnent régulièrement au sein de la délégation de la sécurité du Conseil fédéral. Dans mon département, c’est surtout le Service de renseignement de la Confédération qui suit l’évolution du conflit au niveau international, et informe, afin que nous ayons tous les éléments nécessaires pour pouvoir réagir. Il y a quelques jours, Pälvi Pulli, la cheffe de la politique de sécurité du DDPS, s’est aussi entretenue avec ses homologues européens lors du sommet de Munich sur la sécurité.
En défendant l’acquisition d’un nouveau jet, vous avez dit que la Suisse ne peut pas juste s’abriter sous le parapluie de l’OTAN, mais doit participer à l’effort commun. Ça signifie que la Suisse doit intervenir avec l’OTAN?
Pas du tout. La Suisse ne fait pas partie de l’OTAN. Par contre, chaque État doit être capable de garantir sa propre sécurité, en particulier un état neutre comme la Suisse. On ne doit pas compter sur les autres pour le faire. Nous devons faire notre part du travail pour protéger la Suisse et sa population.
Si des forces de l’OTAN veulent traverser la Suisse. On fait quoi?
Il y a, déjà aujourd’hui, régulièrement des vols étatiques qui traversent le pays. Pour le faire, ils doivent recevoir une autorisation. En cas de conflit armé, la Suisse n’autoriserait pas le transfert de troupes ou d’armes de l’OTAN. C’est entre autres pour ce genre de situation qu’il est important d’avoir une flotte aérienne.
On reste sur les avions. Est-ce que vous maintenez votre déclaration: «ce sera le F-35 et pas un autre modèle»?
Oui.
Le secrétaire des commissions de sécurité dit qu’on peut encore changer d’avion. Qui a raison?
Les deux. Il faut voir dans quel cadre, on se trouve. Actuellement, on est dans un processus d’acquisition qui relève de la loi sur les marchés publics. C’est sur cette base que le Conseil fédéral a arrêté son choix. Et dans ce processus bien précis, on ne peut pas changer pour un modèle qui aurait un rapport coût/utilité inférieur. Évidemment, le parlement peut refuser le message sur l’armée. Mais dans ce cas, il faut tout recommencer à zéro.
En cas de conflit armé, la Suisse n’autoriserait pas le transfert de troupes ou d’armes de l’OTAN.
Le contrat n’est pas encore signé. Si au final, la Suisse n’achète pas le F-35, faut-il s’attendre à payer des pénalités?
Non, il n’y a aucun dédommagement prévu. L’acquisition dépend de l’aval du parlement, voire du peuple puisqu’il y a toujours une initiative pendante.
Concernant les affaires compensatoires, vous avez dit qu’elles se monteront à 2,9 milliards. Pourtant, lors de la campagne, les milieux économiques ont évoqué 3,6 milliards. Se sont-ils trompés?
Pour nous, il a toujours été clair que les affaires compensatoires se basaient sur la valeur contractuelle de l’avion (ndlr: à savoir sans la TVA ou l’assurance risque). C’est ce que j’ai toujours dit lors des débats au parlement et lors de la campagne.
Pouvez-vous garantir que la Suisse romande aura sa part du butin, soit 30%?
Oui. Cette répartition - approuvée par le parlement - fait partie intégrante du contrat. Le fabricant a donc l’obligation de la respecter. D’ailleurs à la fin 2021, les affaires destinées à la Romandie par Lockheed Martin dépassaient ce minimum légal. Même si ce n’est pas définitif, c’est positif.
Mais mon but a toujours été d’être transparente et de donner des chiffres corrects.
En juin, vous avez évoqué un prix de 5 milliards, tout en précisant que c’était sans l’inflation. Saviez-vous alors que celle-ci entraînerait un surcoût de 1 milliard?
Nous avions des calculs à notre disposition, mais rien d’arrêté. C’est pourquoi j’ai parlé de ces quelque 5 milliards qui correspondaient au montant arrêté à un moment précis, soit février 2021.
Et quand vous avez compris que la facture augmenterait d’un milliard, vous étiez surprise?
Le prix n’a pas augmenté. Le prix de 5,068 milliards de francs est le prix fixé en février 2021 hors renchérissement aux États-Unis - comme indiqué le 30 juin 2021. Et le prix de 6,035 milliards de francs est le prix d’achat total - incluant renchérissement, prime de risque et TVA - jusqu’en 2031.
Reconnaissez-vous une erreur de communication?
C’était peut-être une faute. Je ne sais pas. Mais mon but a toujours été d’être transparente et de donner des chiffres corrects. Dès que le montant final a été arrêté - avec le renchérissement et la TVA - nous l’avons communiqué.
Après le oui à l’achat d’un nouvel avion, on aurait pu croire que le plus dur était fait. Vous pensiez que ce serait aussi compliqué aujourd’hui?
Oui. Je m’y étais préparée. J’étais sûre qu’il y aurait une initiative populaire. Mon travail est désormais d’expliquer pourquoi ce choix est important. Je reste confiante, nous avons tous les arguments pour convaincre.